Tuesday 2 October 2018

OBSERVATION DE CLASSE Hélène Lebarbier YTT 2018



The following is an essay, it is not only a class observation but also an eloquent summary of Raja,
Yoga Philosophy, deeply rooted in the science of Yoga for Yoga Teachers and Students.

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With Gratitude


Un positionnement différent

Investie depuis janvier 2018 dans la formation initiale de professeur de yoga au centre du Marais, j’observe, au mois d’avril, trois classes de premier niveau données par Michelle ; deux classes en début de soirée et une classe de yoga thérapie en après-midi. L’introduction faite par Michelle auprès de ses élèves me permet de me glisser au fond de la salle sans trop de gêne. Nous sommes même deux observateurs à la première classe : « Nous avons des spectateurs ce soir ! » lance-t-elle. Tout le monde rit. J’échange un regard complice avec mon camarade de promotion et les participants au cours. Je me détends. Mon sentiment d’extériorité s’estompe, je ressens l’atmosphère du lieu et je commence à faire corps avec l’ensemble. Son humour a dédramatisé l’enjeu de notre observation auprès de tous. La mise en confiance s’est faite rieuse, très simple. Et tout le monde est retourné à ce pour quoi il est venu.

Je donne des cours de théâtre depuis dix ans, la position d’enseignant ne m’est pas inconnue. L’art de mettre les gens à l’aise tout en créant l’atmosphère propice à la pratique est un savant équilibre. Je transmets ce que mon métier de comédienne et metteure en scène m’a appris, rendre le corps sensible et disponible au jeu d’acteur, favoriser l’imprégnation de l’esprit dans le corps et dans les mots de manière à donner forme et rendre fluide et personnelle l’interprétation qui suivra. Au-delà des mots, le langage du corps a toujours été central pour moi, au théâtre, en danse et en chant que je pratique parallèlement, et pour soigner aussi les maux, physiques et psychiques, qui traversent inévitablement l’existence. Il est essentiel pour moi de passer par le corps pour ressentir et commencer à ouvrir et exprimer. Dans le cas contraire, le mental s’agite empêchant l’écoute et l’expression authentique. J’ai consacré beaucoup de temps à « (re)descendre dans mon corps ». Ma pratique du yoga vient dans la continuité de ce parcours. Je l’ai croisé dans des stages de danse ou de théâtre comme préparation au jeu. Mais c’est en 2014, l’année de mes 40 ans et après une opération que je me lance dans un pratique régulière grâce à une amie que j’accompagne au centre du Marais. C’est la première opération que je traverse, par chance, dans ma vie. Rien de grave, je passe une nuit à l’hôpital. Mais j’en viens à m’interroger plus profondément sur les limites du corps et sur sa finitude. Je passe aussi la quarantaine et les questions existentielles liées à cet âge du mitan de la vie sont bel et bien réelles. Je ressens profondément le besoin d’une réponse concrète à ce passage. La pratique du yoga devient cette réponse pour moi car elle met l’accent sur l’intériorisation et la globalité de la personne. Elle est une voie de libération de duhkha, par une approche à plusieurs niveaux, physique et psychique, énergétique, vibratoire, physiologique et philosophique ; et une aspiration au mieux être, sukha. Les yoga sutras de Patanjali présentent les afflictions ou kleshas comme obstacles à dépasser pour acquérir connaissance et sagesse. La finitude est en fait partie. Le yoga est bien plus qu’une technique ou un savoir, il conduit à une transformation en profondeur par la globalité de son approche et renouvelle les questions et la méditation sur ces questions en permanence. En 2018, Michelle me propose de rejoindre la formation initiale de professeur qu’elle organise. J’ai pratiqué jusque là le yoga pour moi, et la vocation à transmettre me rattrape. J’y vois l’opportunité d’approfondir mes connaissances et ma pratique, de nourrir le lien aux autres par l’enseignement, de m’approprier encore davantage les choix et les comportements qui font mon chemin de vie, de rejoindre en quelque sorte ce qu’il y a de plus intime et de plus universel en chacun. C’est une belle occasion, intense et exigeante, dont je remercie la vie.
Le yoga comme un art de la connexion

Une connexion au lieu et à l’espace

En tant que metteure en scène je suis sensible au lieu, à ce qu’il dégage, un esprit du lieu, à sa disposition pour que chacun y trouve sa place et sa liberté. C’est la première chose dont je voudrais parler, la connexion au lieu d’accueil de la pratique. C’est la première chose qu’on voit et que l’on sent. 
Dans mon ressenti, le Centre du Marais n’est pas un lieu bâti pour le yoga, il est un espace dans la ville, avec son côté cour et son côté rue, que le yoga vient habiter, comme si le yoga pouvait se trouver partout et en chacun de nous. C’est un pas de porte sur la rue Vertbois, que l’on peut traverser pour sortir de l’autre côté. La vie ainsi l’entoure, les gens qui passent sur le trottoir, ceux qui rentrent chez eux par la cour intérieure d’immeuble. Il n’est pas séparé, isolé, physiquement et psychiquement, cela a son importance. C’est le lieu d’un écart ancré dans la vi(ll)e. 

A l’intérieur, simplicité et authenticité, chaque chose a sa place dans une harmonie d’ensemble ; le petit autel dans le dos de l’enseignant avec ses bougies, bol et cloche, bouquet de fleurs, présence d’une statuette de Siva, plus haut du signe ôm, et de la bannière du Bouddha de médecine. La chaise et la table bureau au dessus de laquelle se trouve l’étagère pour les chaussures à l’entrée, l’espace de la loge pour déposer les affaires et se changer, séparé par des rideaux et les toilettes au fond avec un seau pour nettoyer les tapis à la fin du cours donne la sensation qu’il n’y a rien en trop et que rien ne manque. Michelle a arrangé l’espace comme on arrangerait un chez soi. Elle y dépose une identité (ses diplômes, les photographies des maîtres chers) sans ostentation. Rien ne s’impose. Le lieu, ouvert, est habité par une équipe de professeurs et par les élèves. Il est difficile parfois de décrire la sensation qui se dégage d’un lieu mais c’est mon ressenti personnel. Je n’arrive donc pas dans une salle de gym, ou une salle à la mode, je rentre dans un lieu imprégné d’une histoire qui flotte autour de moi comme un parfum. Cette histoire existe, et elle conserve sa légèreté, un esprit en mouvement où liberté, cohérence et bienveillance construisent le vivre-avec. La cohérence du professeur de yoga avec le sens et les valeurs que la discipline véhicule est importante.

La disposition des tapis prend place à chaque début de cours s’adaptant au nombre de participants ou à l’envie plus précise d’instaurer un rapport à l’autre plus spécifique, en cercle, par exemple. Michelle prépare l’environnement et le module dans l’avancée du cours (bougies, lumières, chauffage, distribution de blocs, de coussins ou de couvertures selon les besoins du cours et de chacun, musique) créant l’atmosphère d’une entrée en soi, de l’évolution dans la pratique et enfin d’une reconnexion au monde. 

Dans la première classe que j’observe, les bougies, l’éclairage et les couleurs me parviennent de manière plus précise et dans leur ensemble comme créant les conditions d’une concentration (dharana) et d’une méditation (dhyana) propice à l’état de calme intérieur qui prépare corps et mental aux postures (asanas). La modification de l’état intérieur se fait pour tous, plus conscient et plus confiant. Dans la deuxième, guidée par la commémoration de l’anniversaire de Bouddha, Michelle a distribué une bougie devant chaque tapis, créant une atmosphère particulière et donnant un objet de méditation à chacun. Je vois aussi pour la première fois de ce point de vue, la disposition en savasana de la classe, la posture de relaxation complète en fin de cours. Le jour est tombé, l’éclairage est faible, les bougies fabriquent des ombres sur la statuette de Siva, du signe ôm, et de la bannière de médecine. Michelle, dans l’ombre aussi, accompagne la relaxation de la classe par sa méditation. Je prends conscience, par l’image et le ressenti, de la place du guide qu’elle endosse à ce moment-là, de cette responsabilité de veille et d’accompagnement que cela implique, de sa présence et de son ombre, plongée dans le grand tout, passeuse à son tour d’un enseignement reçu et qu’elle est en train de nous transmettre. Je ressens que nous sommes chacun d’entre nous les maillons d’une chaine humaine. Se dégage la sensation toute personnelle ici que purusha et prakriti ne font qu’un, l’espace de cet instant serein.
Un ancrage dans l’instant présent : saison, temps du jour, temps qu’il fait, temps qui passe

J’assiste au trois classes le même mois d’avril, annonce du printemps, et chacune porte à la fois l’énergie du renouveau de saison et ses spécificités. Il est 19h30 le jeudi de la première classe et Michelle rappelle ce changement saisonnier où l’énergie s’active, nous ne sommes plus en hiver, les jours s’allongent. Il est 14h à la classe de yoga thérapie, elle transmet qu’il fait chaud et que la classe va commencer par une pratique de pranayama rafraîchissante, langue arrondie ou pour ceux qui ne peuvent pas langue entre les dents, de manière à sentir l’air dans la bouche, indique-t-elle. Il est 18h30 le lundi, elle a fait le choix d’une séance réparatrice (restorative practice) en commémoration de l’anniversaire de Bouddha, le temps de chaque posture se prolonge en une méditation sur une question. Chaque classe apporte sa singularité ancrée dans le temps présent.

Dans la formation, Michelle insiste sur des notions essentielles de base, commencer et terminer à l’heure son cours. Et finir à l’heure n’est pas si facile à réaliser quand on prépare ses séquences et qu’on guide des classes pour la première fois. On s’aperçoit que l’expérience acquise est importante pour ce genre d’exercice, notamment l’équilibre entre chacune d’elles et l’avancée vers la relaxation complète de savasana qui ne doit être en aucun cas sacrifiée sur l’autel du temps qui a passé trop vite ! Dans les trois classes que j’observe, le temps du cours de Michelle est un véritable art de la progression. Ce n’est pas une succession de postures à réaliser avec plus ou moins d’efficacité ou de succès. C’est un tout, fluide. Les séquences s’enchainent sans rupture, sans faire brusquement sortir l’élève de l’état acquis par la posture précédente pour le faire ré-entrer dans la posture suivante. Elles sont guidées par la précision des parties du corps à engager ou relâcher (énergies de banda ou de lâcher prise) et le soin au passage de l’une à l’autre. Dans le passage de la posture de l’enfant balasana à la posture de l’arbre vrksasana par exemple, c’est toute une approche qui permet de saisir la montée de l’équilibre comme une montée de sève en passant par l’étape assise de la posture du héros virasana. « Assis sur la pointe des pieds, levez-vous sur vos pointes et remontez. Choisissez votre genou préféré et levez puis inversez. Sentez la solidité de votre jambe d’appui. Montez votre genou sur le côté puis restez. Poussez la plante du pied contre les adducteurs ». Dans cet enchainement, on sent que l’attention portée à la simplicité juste de l’image et à la fluidité de l’énergie transmise est réelle. A l’image des tissus conjonctifs du corps, elle parle du yoga comme d’un art de la connexion, où les différentes polarités s’équilibrent. La formule que Michelle utilise également « Ici j’ajoute » indique une pratique en progression, en intégration de l’étape précédente, en déplacements et écarts successifs. Ressenti et intégration du ressenti en conscience vont de pair. L’imprégnation des exercices et de la philosophie apportée est intuitive. Les questions posées par Michelle à notre groupe de formation me reviennent à ce moment-là. Elles concourent toutes à nous donner une sensibilité au temps. Sentez-vous le rythme des alternances dans la pratique du nadhi suddhi ? Le ôm n’a-t-il pas été écourté dans le silence qui l’accompagne et qui en fait tout le bénéfice ? Le temps est-il donné aux élèves pour s’approprier la posture dans le respect de leur rythme, de leur corps et de leurs besoins ? La prise en compte des capacités et des besoins de chacun agit sur la progression de la pratique. Je retiens qu’habiter son cours dans l’instant présent est le plus important.

La qualité du temps s’éprouve instant après instant, dans une écoute et une sensibilité organique. La précision des mots et des images ainsi qu’un regard attentif, au groupe et à chacun des élèves, jouent un grand rôle. Les corps réagissent et s’ajustent en conscience. Cet ancrage dans l’instant présent à plusieurs niveaux permet l’ouverture à l’esprit du yoga au-delà d’une pratique physique.

Une connexion à soi et aux autres : respiration, son, vibration

La respiration tient une place essentielle dans le cours de yoga. Le pranayama accompagne tout le cours, à différents moments : la respiration en trois parties deergha swasam introduit souvent la pratique comme première connexion de l’élève à lui-même et à l’instant présent, l’expiration active kapalabhati, peut être placée avant surya namaskar ou dans la progression du cours pour accompagner une montée d’énergie nécessaire à l’exécution de postures comme celles de flexion arrière bhujangasana ou salabhasana, ou encore la respiration alternée nadhi sudhi que j’ai vu souvent intervenir à la fin, avant ou après savasana, pour équilibrer et centrer corps et mental avant le départ. Il peut s’agir de pratiques rafraichissantes si la chaleur est forte ou si le cours est à orientation prénatale. Des mudras spécifiques (gestuelle des mains) sont parfois associés aux pratiques de pranayama.

Au-delà des moments réservés aux exercices de pranayama, la respiration vient irriguer toute la pratique du yoga. Chaque posture est guidée par le souffle et Michelle le rappelle tout au long du cours. Il est connexion intime et entrée en soi dès l’ouverture. J’aime beaucoup l’image que Michelle donne dans la première classe que j’observe. Elle utilise le shruti, un instrument traditionnel à soufflets. Et elle parle du ventre, qui rentre et sort, de ce shruti qui vient de l’Inde en disant « connectez-vous à votre plus vieille amie qui est avec vous depuis votre première respiration. Vous êtes là pour votre bien-être, votre santé, pour vous. Ralentissez votre souffle. » J’associe le ventre du shruti à mon propre ventre. Le son continu accompagne l’alignement vibratoire en soi-même et avec le groupe. Michelle donne alors une autre image, celle du pichet d’eau que l’on remplit, pour l’approfondissement de deergha swasam, respiration en trois parties. Le son du shruti, « son de l’univers, de tous, derrière tous » continue Michelle, se poursuit sur les trois ôm puis le chant du mantra Ha Ri ôm dont elle précise les ancrages d’énergie : plexus solaire-cœur, gorge, et tête et au-delà. Les images progressives ouvrent chacun au son de sa voix et au chant, venant du plus profond du ventre.  Elles alignent corps, respiration et pensée. Chacun est libre de chanter ou d’écouter.

L’approche par le son est très présente dans les cours de Michelle non seulement par la puissance des mantras chantés en ouverture et fermeture comme Ha Ri ôm, ôm Nama Shivaayasiva et ôm Shanti mais également tout au long du cours. Elle invite à écouter son souffle à plusieurs moments dans les classes que j’ai observées ; dans la pratique de pranayama rafraichissante par exemple, le son de l’air entre les dents ou à l’intérieur de la langue arrondie. Elle dira aussi « écoutez votre souffle » au moment de la pratique de netra vyayamam, où l’élève après avoir créé de la chaleur au creux de ses mains appose ses paumes en coque sur ses yeux, créant l’obscurité. Elle dira enfin « écoutez votre souffle » dans la posture de l’enfant balasana au moment où le corps se rassemble sur soi, créant aussi une obscurité légère. Cette attention portée au son davantage qu’au sens visuel, qui est ici estompé, introduit l’élève à la pratique de pratyahara, écoute sensorielle intérieure, cinquième branche des yoga sutras de Patanjali. Cette pratique est essentielle surtout dans nos sociétés où le sens visuel est survalorisé par rapport aux autres et où les nouvelles technologies sollicitent beaucoup l’œil.

Cet alignement vibratoire permet de lier mouvement et respiration et de sentir ainsi l’énergie qui circule en nous, prana. Il permet d’introduire une des notions centrales de la pratique du yoga smarana, la création d’espace dans le corps, entre les vertèbres, les organes, les tissus. Dans les postures, l’indication de certaines zones comme « respirez autour des reins » ou « respirez dans votre dos » vient aider l’élève à placer en conscience son souffle dans ces endroits, et continue de nourrir la circulation de l’énergie vitale. Dans la posture de la chandelle sarvangasana, Michelle précise que l’oxygénation de tout le corps a lieu dans cette posture inversée. 


Un cours de yoga integral : la recherche d’un équilibre

Une approche globale et accessible

Ce qui me frappe dans chacun des cours de Michelle que j’ai observés, c’est ce mélange riche de notions et sensations parfois complexes du yoga, qu’elle arrive à rendre accessible. Il y a d’abord le mélange des trois langues, le français, l’anglais et le sanskrit, qui peut avoir lieu dans un même cours, apportant chacune leur singularité sonore et rythmique à l’oral.  L’apport du sanskrit outre sa vibration différente à l’oral, permet de se relier aux sources indiennes du yoga et de découvrir le nom des postures dans leurs termes originaux. 

C’est un cours de hatha yoga integral, centré sur le développement physique au travers des asanas, avec un pratique de la respiration pranayama et de la relaxation. Mais bien au-delà il fait appel à d’autres branches du yoga, comme :


  • Le raja yoga, à travers la concentration et la méditation, ainsi l’ouverture et la relaxation complète sont une approche de l’immobilité et du silence, que Michelle ne manque pas de rappeler. Pour savasana, par exemple, elle commence en disant « on essaie de ne pas faire de mouvement, on observe le travail qui continue. » 
  • Le jnana yoga, approche plus intellectuelle ou philosophique, à travers la diffusion au fur et à mesure de certaines questions, ou notions qui sont développées dans les sutras de Patanjali, comme ahimsa, la non-violence envers soi ou les autres, ou santosha, qui intègre l’idée de contentement, de satisfaction profonde de ce que l’on a dans l’instant présent, qui concrètement viennent interroger l’élève sur sa pratique.
  • Le japa yoga, avec la répétition des structures sonores des mantras. On peut même ajouter qu’à travers l’exercice de lâcher prise (ou surrender) une forme de karma yoga est abordée.
  • The Yoga Sutras of Patanjali, translation and commentary by Sri Swami Satchidananda, Integral Yoga Publications, Buckingham, Virginia, 2012. 
  • L’arbre du Yoga, B.K.S. IYENGAR, éditions Buchet/Chastel, Paris, 2003.
  • Yoga, anatomie et mouvements, Leslie Kaminoff, Amy Matthews, éditions Vigot, 2011.


Le cours s’organise en suites de préparation / pose / contre pose. 
Anatomie Des notions anatomiques sont ainsi diffusées de manière accessible et dans la conscience d’un ressenti. Michelle indique, entre autres, que le mouvement scapulaire est important pour la pratique des épaules dans la posture du chat/vache marjaryasana. Dans la posture anjayanasana, qui fait partie des mouvements de la salutation au soleil, elle précise de travailler avec la force de gravité et de lâcher prise pour l’étirement du psoas, qu’elle présente comme muscle postural donc très important. Dans cette posture la sensation de ce muscle est immédiate. L’élève peut intégrer la sensation à son schéma corporel. 
Les images sont aussi importantes pour donner accès à l’énergie recherchée. Michelle utilise dans sa classe de yoga thérapie l’image de la grenouille pour s’asseoir accroupi et l’envie de s’emparer d’un gâteau au chocolat pour s’étirer, bras vers l’avant, et remonter. Ce sont des descriptions qui en plus d’être créatives et drôles sont très parlantes pour accéder à certains mouvements. D’autres sont plus poétiques comme « étirez le sternum, cherchez le soleil, c’est l’ouverture du cœur ». 
Michelle utilise aussi des notions en sanskrit comme mula bandha pour introduire au verrou racine, à la conscience du périnée et de la zone musculaire associée, ou drishti pour orienter le regard vers un point de focalisation, et qui permet une plus grande concentration dans le maintien d’une posture, ou encore les mudras, gestuelles des mains, qui aident à transmettre les énergies dans le corps, comme le vishnu mudra dans la pratique de nadhi sudhi. Ces notions, venant du monde indien, véhiculent une approche plus globale de l’anatomie, du mouvement et des énergies, que la terminologie occidentale et sont donc fondamentales pour la pratique du yoga si on ne le réduit pas à une simple gymnastique physique. 
Michelle enfin énonce avec précision les bienfaits de chaque posture, des pratiques de pranayama qui vident des toxines, équilibrent le cerveau et augmentent la capacité pulmonaire, à la salutation au soleil qui stimule les circulations d’énergie, et la posture de l’enfant qui renforce le système parasympathique, entre autres exemples. Et le temps est laissé pour les ressentir.

La globalité de l’approche est pour moi centrale à la pratique d’enseignement, qui s’adresse à tous les aspects de la personne humaine, physiques, émotionnels, intellectuels et spirituels. C’est ce qui fait la richesse et la profondeur du yoga.



Trois cours différents que chacun peut s’approprier en liberté

Les trois cours auxquels j’assistent ont chacun leur singularité et s’ancrent dans l’instant présent de la journée, du groupe et de chacun. Michelle indique toujours que la posture de l’enfant balasana est la place du lâcher prise, à laquelle on peut revenir à tout moment dans sa pratique. Elle en fait même l’axe central de la classe de yoga thérapie à laquelle j’assiste, commençant par elle dès l’ouverture des trois ôm, rythmant la posture du chat/vache par un va et vient avec cette posture, ainsi que la salutation au soleil. Elle est donc revisitée plusieurs fois pendant la séance avec une variation du commentaire comme de la posture, genoux joints puis genoux écartés, elle précise « voyez comment vous descendez encore plus par rapport à la dernière fois, comment votre colonne s’est allongée ». Cette évolution me fait penser à la structure en spirale des yoga sutras de Patanjali où il revient sur un même thème pour mieux l’approfondir. Elle permet de jouer avec l’équilibre que propose la pratique du yoga entre « aller plus loin » et « lâcher prise » qui est l’endroit de toute posture, « être fermement établi dans un espace heureux ». (Sutra II.46 Sthira sukham asanam).

Les ajustements nécessaires sont donnés à l’ensemble des élèves, « poussez les pieds dans les mains » dans dhanurasana. Ce sont des conseils ou des rappels précieux. Michelle indique dans la salutation au soleil surya namaskar « vous pouvez pousser le pied si vous n’y arrivez pas » – Elle insiste sur l’alignement des hanches vers l’avant pendant le mouvement en spirale qu’elle propose car « elles ont tendance à partir avec la rotation ». Elle permet à chacun de sentir la bonne position des mains pour lui-même dans posture de la table ardha purvottanasana. Ces ajustements sont donnés par les mots mais peuvent aussi entraîner la correction d’une posture ou l’aide à sa réalisation par le toucher. Michelle aide par exemple F. et V. pour l’élévation/sortie de leur sternum dans la posture du poisson matsyasana.

Sa voix est souriante, son regard attentif au groupe et à chacun et s’adapte, créant un lien bénéfique avec ses élèves. Les formulations sont ouvertes à la sensation, « observez », « sentez », « remarquez ». Elles entraînent à prendre conscience par soi-même de sa pratique, non pas à suivre la démonstration d’une posture de l’extérieur. La négativité est peu présente, ce qui lui donne une valeur quand elle existe. C’est en général une indication plus précise à ne pas se blesser comme « ne cassez pas votre nuque ». 

Michelle tisse un lien très personnalisé au groupe et à chacun. Elle connait les prénoms de ses habitués et demande à chaque début de cours le prénom des nouveaux arrivants. Dans la première classe que j’observe, elle s’adresse à V. de trois manières différentes, lui apportant un soutien tout au long du cours, de manière humoristique au sujet d’un enchainement qui demande de la mémoire « if you forget make it up ! » phrase qu’elle accompagne d’un rire. Elle rappelle ainsi que chacun adapte avec liberté et responsabilité en fonction de son bien-être et la part d’invention que le yoga implique. Elle poursuit par une correction personnelle sur la position des coudes de V., « you have to keep talking to yourself about that ». Son ton rend la remarque importante, l’ajustement est nécessaire pour la bonne santé du pratiquant. Dans vriksasana, elle rassure A. dans sa posture qui ne marche pas comme elle voudrait : « it will come up, i guarantee ». Confiance et patience sont délivrées dans ces mots. Les modulations d’adresses et de ton de voix tisse un lien très sensible à la personne. 

La classe de yoga thérapie à laquelle j’assiste est un cours d’habitués. Michelle l’appelle « mon équipe qui est là toute les semaines ». Le lien est confiant et fluide. Michelle vient alors interroger l’habitude et le renouvellement de l’expérience. La question est posée dès le début du cours à l’ensemble du groupe : « qu’est-ce qui arrive avec mon corps aujourd’hui ? », puis « comment vous sentez-vous dans votre montagne ? ». Au milieu du cours, Michelle ajoute « chaque jour est une nouvelle expérience. Toujours une tabula rasa. C’est quoi l’histoire aujourd’hui ? Que vous ayez fait une ou mille pratique. » Avec cette conscience là, elle ajoute la liberté et la responsabilité de chacun dans le développement de sa pratique. Dans la posture de l’arbre vrksasana comme de la chandelle sarvangasana, elle dit « vous décidez si vous montez sur le mollet ou sur la cuisse ou si vous restez pied à pied », « si vous souhaitez, vous pouvez monter les jambes en chandelle, vous décidez de la durée. Vous décidez d’aller plus loin. » Ici elle suggère un approfondissement possible tout en conservant à chaque élève son espace de liberté et de choix. Dans cette classe et ce jour-là, Michelle vient bien questionner l’habitude et encourager l’autonomie.

Je voudrais rajouter ici que les cours de Michelle sont emprunts d’humour, un humour qui lui appartient et rend la pratique sérieuse sans se prendre soi-même au sérieux. L’idée qu’au moment intense de l’action, quand on commence à serrer les dents, un trait d’humour du professeur vienne nous aider à relâcher la pression, à relativiser ce qui commence à devenir trop tendu, enfermé, ou concentré sur la partie du corps qui résiste, est précieux. L’expérimentation en conscience de ses équilibres et déséquilibres est au cœur de la pédagogie de Michelle. Plaisir et exigence, volonté et lâcher prise, sont conjoints. Le rire nous ramène en plus à la sensation de notre ventre, notre centre, et à la vibration de tout le corps. B.K.S. Iyengar évoque la même chose dans son article effort, prise de conscience et joie (l’Arbre du yoga) quand il énonce : « vous pouvez perdre le bénéfice de ce que vous faites en concentrant trop d’attention sur une seule partie du corps pour essayer de parfaire la posture ».

La troisième classe que j’observe, a lieu le jour de la commémoration de l’anniversaire de Bouddha et Michelle guide le cours dans cet esprit. Chacun a une bougie disposée à l’avant de son tapis. Elle ouvre avec le shruti et le Gayatri mantra. Une musique de bols tibétains accompagnera toute cette pratique réparatrice de postures longues et de méditation. S’entrelacent dans ce cours la tenue des postures, de 3 à 5 minutes, la méditation d’une question et les bienfaits anatomiques et organiques. Posture de l’enfant balasana « Comment peut-on habiter la vie, son corps et son esprit ? » méditation sur la première des yamas, ahimsa. Posture de janu sirsasana, méditation sur la vérité et la compassion, comment accorder son discours et ses actions ? Connection aux pensées, travail de points d’énergie pour les reins et le foie. Contre posture, l’étirement du dos se fait dans l’autre sens, vers l’arrière. Puis vient la posture du cobra bhujangasana, et son ouverture de la poitrine qui amène une exploration des autres et de la terre, du sens du mot service, et à son élargissement. La posture de l’enfant vient à nouveau renforcer le système parasympathique. Michelle continue de guider bienfaits et méditation, « le soin du moment présent prépare le soin du futur ». Les élèves sont ensuite amenés à méditer sur la juste compréhension et la sagesse. La relaxation de savasana est suivie par une méditation de 15 minutes. Michelle a tissé pendant une heure trente le lien profond qui existe entre corps et esprit dans la pratique de hatha yoga integral.


Conclusion

Je retiens des ces trois classes observées l’esprit de liberté, de cohérence et de bienveillance qui s’y propage, un vivre avec de la pratique qui ne se résume pas à un savoir ou une technique mais touche bel et bien l’être dans sa globalité et son authenticité. Le yoga est un endroit où la création d’espace à l’intérieur de soi permet d’élargir sa conscience. La démarche du professeur emprunte à cette approche holistique et s’articule à tous les niveaux, dans les séquences qu’il propose, et ses apports aussi bien en anatomie que philosophie du yoga. Je retiens cette phrase de Michelle, « teach what you know » et par là elle entend ce que l’on connaît d’expérience, et ajoute-t-elle en souriant, « ça se voit et se sent quand vous pratiquez ce que vous enseignez. »

Bibliographie :